III.1- ROBERT D'ARBRISSEL ET FONTEVRAUD

Publié le par Jean Bienvenu

1989-1990 : Recherches à la Bibliothèque Nationale dans la continuité de la maîtrise et à l’occasion de notre service national : étude des actes du cartulaire de Fontevraud correspondant aux premières années de l’Abbaye et marquées par la présence de Robert d’Arbrissel (années 1101 à 1115, de la fondation de Fontevraud à la mort de Robert).

 

1-      Transcription de 40 actes à partir du cartulaire original.

Ces 40 actes sont issus du Fragment de Paris (FP) du cartulaire de Fontevraud, conservé à la Bibliothèque Nationale, au département des manuscrits, dans les Nouvelles acquisitions latines sous la cote 2414 : folios CXXXXVI à CCLXIX numérotés de 1 à 136 au XIXème siècle, soit 370 actes. Nous avons également consulté la copie du Fragment d’Angers (FA) réalisée par Marchegay au XIXème siècle : folios IX à XVIII numérotés de 1 à 18 au XIXème siècle, soit 36 actes.

 

2-      Début d’analyse : étude des bénéficiaires des actes et des souscripteurs afin de mieux cerner la genèse de l’Abbaye de Fontevraud. (INEDIT) ; un essai de datation la plus fine possible des actes, comme à La Roë, permettrait d’approfondir et de perfectionner de manière conséquente cette approche.

 

NB : nous reproduisons ici un début d’analyse qui date de 1990 et que les circonstances ne nous ont pas permis de retravailler et d’approfondir par la suite ; nous sommes très conscient des limites de cette approche ; certains aspects nous ont cependant paru intéressants à partager pour une meilleure connaissance de Robert d’Arbrissel.

 

            Comme à La Roë, Robert s’intéresse activement à sa nouvelle communauté ; la plupart des actes (39)montrent la présence certaine de Robert à Fontevraud, malgré la poursuite de ses prédications itinérantes. Il reçoit les dons « in manu » et il donne « dedit » en échange. Cet intérêt ne décroît pas avec le temps.

            Robert reste un ermite comme le montrent les concessions à titre personnel - et non à une institution - (FP folio 59, 2ème acte et folio 84, 2ème acte ; Oudart, 1986). Il ne porte jamais le titre d’« abbas » mais on le retrouve, comme à La Roë avec les titres de « pater », de « magister » ou de « domnus » dans la logique des deux initiatives du pape Urbain II à son égard en février 1096. Le terme « monseigneur » - « domnus » - est un titre honorifique impliquant une prééminence morale de Robert sur ceux qui le suivent (Oudart, 1986, p 27).

            Concernant les relations de Robert avec les « dominae » (Hersende et Pétronille), un acte (FP folio 41, 2ème acte, FA acte n°23) montre une expression étonnante ; la concession est faite « in manu magistri Roberti et Hersindis priorisse » ; cette expression donne l’impression d’une gestion bicéphale de Fontevraud, ce qui n’est pas ordinaire ; les « dominae » semblent vouloir s’octroyer une place prépondérante dans la communauté et notamment à l’égard de Robert. Le folio 37, 4ème acte va dans le même sens.

            Qu’en est-il de la place des frères dans cette communauté mixte ? Les souscriptions mentionnent les frères et les « dominae », d’ailleurs toujours mentionnés ensemble, mais jamais les autres religieuses. De plus, les « dominae » sont toujours mentionnées à la suite des frères. Cet ordre de succession est-il sans importance ? Les frères ne tiendraient-ils pas un rang relativement important dans la communauté ?

Dans plusieurs actes de donation ou de vente concernant explicitement Fontevraud (FP folio 89, 4ème acte et folio 133), c’est aux frères que sont montrées les limites de la terre ; ce sont eux qui en échange donnent un cheval ; auraient-ils donc la gestion du patrimoine foncier ?

Ce sont les « disciples » de Robert (FP folio 59, 2ème acte), « ses hommes pieux » (FP folio 84, 2ème acte) ; l’emploi du possessif dans ce dernier acte va dans le sens d’un lien très fort avec Robert. Ils semblent être sous l’autorité directe de Robert et non des « dominae ».

Dans le même acte, les frères reçoivent des dons en propre ; ils assurent la cure d’une paroisse ; ils accompagnent Robert dans ses pérégrinations ; tout cela va dans le sens d’une grande liberté des frères par rapport à Fontevraud.

Les frères, de même que Robert, semblent rester des ermites, car ils peuvent recevoir avec Robert des donations à titre personnel (cf.acte précédent), et ce qui est très étonnant, sans rattachement à Fontevraud.

Il est intéressant de souligner que dans le probable acte de fondation de Fontevraud (Patrologie latine 162, col 1104, n°XIX), la donation est faite à Robert et aux « mulierum religiosarum » ; il n’est aucunement mention des « hommes pieux » de Robert, ce qui irait dans le sens de nos précédentes remarques. Robert n’a probablement pas eu l’idée à l’origine de créer un ordre mixte. A-il même pensé à un ordre religieux, l’acte ne mentionnant aucun « ordo » mais plutôt un groupe informel, ce  qui va dans le sens du caractère érémitique de la fondation.

 

            Qu’en est-il du statut des sœurs ? Un acte est particulièrement surprenant les concernant (FP folio 36, 3ème acte) ; elles y sont mentionnées  de manière unique dans les actes de Fontevraud comme « canonicae » : « dono… domno Roberto et canonicabus fontis evraudi ». Cet acte est passé en présence de Pierre II, évêque de Poitiers ; c’est probablement un des tout premiers actes de l’abbaye ; une erreur du copiste semble hors de question ; le statut canonial serait-il à Fontevraud le tout premier statut, à l’image de La Roë, des « mulierum religiosarum » ( Patrologie latine 162, op. cit.) avant celui de moniales « sanctimonialibus » ? Il est bon de rappeler que la règle de Saint Augustin mentionnée dans l’acte de fondation de La Roë était probablement la « regula tertia » qui  « était considérée plus comme un modèle de genre de vie que comme un texte à suivre » . « Elle ne constitue pas en effet une règle proprement dite mais contient des directives générales pour la vie spirituelle» (cf notre mémoire de maîtrise : première partie I B 3). De plus, cette règle se présentait sous une double forme masculine et féminine (idem). Pourquoi ne pas imaginer que Robert ait pu choisir cette règle pour Fontevraud ? Rappelons aussi que Fontevraud a été fondé en 1101, avant Pâques, et que Quintin, premier abbé de La Roë, est consacré un 17 décembre 1102-1105, soit au moins un an et demi après la fondation de Fontevraud ; cette dernière date marque le départ définitif de Robert de La Roë (cf. notre mémoire de maîtrise : troisième partie I D). Durant cette période d’un an et demi au moins, Robert gère donc à la fois La Roë et Fontevraud. Il est probable que Fontevraud ait été soumise dès son origine à l’autorité directe de Robert et non à La Roë, ce que nous retrouvons pour la fondation de plusieurs prieurés qui seront ultérieurement rattachés à Fontevraud comme Orsan  ou Chaufournois. Dans ce qui est probablement l’acte de fondation de Fontevraud (Patrologie latine 162 op. cit.), Robert et les « mulierum religiosarum » reçoivent la donation de la vallée de Fontevraud à titre personnel, ce qui est, encore une fois, typique de l’érémitisme comme nous l’avons souligné ci-dessus : « dono domno Roberto de Arbrissello et conventui mulierum religiosarum… ». Robert a donc été été libre de rattacher ou non Fontevraud à La Roë. Au tout début de son existence, l’éventualité d’un rattachement de Fontevraud à La Roë ne semble donc pas exclue. La consécration du premier autel de Fontevraud en l’honneur de Notre-Dame, comme à La Roë (Patrologie latine 162 op. cit.) et la mention de « canonicae » vont dans le sens de cette hypothèse. La consécration de Quintin à La Roë et donc le départ de Robert pourraient être le signe de la nouvelle orientation monastique de la fondation fontevriste, Robert se rendant compte qu’il ne pourrait finalement pas appliqué à Fontevraud le modèle canonial de La Roë.

 

Bibliographie

Oudart (H) : Vie érémitique et vie religieuse dans le diocèse de Bourges (milieu Xie-milieu XIIe), Thèse, Paris - Sorbonne, 1986. H. Oudart a abordé érémitisme et cénobitisme sous un angle nouveau à savoir celui du Droit.  

 

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